Le chat
Dans ma cervelle se promène
Ainsi qu’en son appartement
Un beau chat, fort, doux et charmant,
Quand il miaule, on l’entend à peine,
Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s’apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde,
C’est là son charme et son secret.
Cette voix qui perle et qui filtre
Dans mon fond le plus ténébreux,
Me remplit comme en vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.
Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n’a pas besoin de mots.
Non, il n’est pas d’archets qui morde
Sur mon cœur, parfait instrument
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,
Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtile qu’harmonieux !
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu’un soir
J’en fus embaumé, pour l’avoir
Caressé une fois, rien qu’une.
C’est l’esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?
Quand mes yeux vers ce chat que j’aime
Tirés comme par un aimant,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,
Je ne vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivants opales,
Qui me contemplent fixement.
Baudelaire